"Si le sujet n’était pas chargé de gravité – et même de drames –, on pourrait en sourire. S’esclaffer même. Je pense à la nouvelle fortune, à gauche, du joli mot de "république". Nos dirigeants, Manuel Valls en tête, l’emploient dorénavant de façon obsessionnelle. Une bonne quarantaine de fois par jour. Dans le même temps, il est vrai, on chante "la Marseillaise", on remet le bleu-blanc-rouge à l’honneur, et l’on s’enthousiasme jusqu’à Washington, Londres ou Berlin, pour la superbe devise française, "Liberté, égalité, fraternité".
On ne se plaindra sûrement pas de ces invocations patriotiques en diable. Alors pourquoi sourire de tout cela ?
Parce que, voici quelques années, l’adjectif "républicain" était surtout employé, à gauche, pour disqualifier un citoyen ou un intellectuel. Républicain, cela voulait dire plus ou moins hostile à la démocratie, suspect de flirter avec ce qu’on appelait les "rouges-bruns". Un homme aura fait les frais de cet ostracisme "tendance" pendant des années : Jean-Pierre Chevènement. De ce "républicain archaïque", on se moquait jour après jour.
Républicain à l’ancienne, vétilleux défenseur de l’Etat et de l’unité nationale, Jean-Pierre Chevènement fut l’objet d’une moquerie permanente, pour ne pas dire méprisante. Dans les années 1990, ce moralisme anti-chevènementiste se manifestait à chaque occasion. Et parfois de manière insensée.
Un exemple ? On se souvient que Chevènement eut le courage de démissionner de son poste de ministre de la Défense, le 29 janvier 1991, car il n’approuvait pas l’entrée en guerre de la France au moment de la première guerre du Golfe. Est-ce si courant, un ministre qui préfère la fidélité à ses convictions plutôt qu’un ministère régalien ? Or comment donc fut saluée, à gauche, cette droiture courageuse ? En dépit du respect que m’inspire Françoise Giroud, je n’ai jamais digéré le titre injurieux de sa chronique dans "le Nouvel Observateur" : "le déserteur".
Oh ! certes, il était parfaitement légitime d’être en désaccord avec ses thèses plutôt jacobines et, comme on le dit maintenant, "souverainistes". Rien n’autorisait, pour autant – sauf la bêtise inculte – à faire de l’élu de Belfort ce "ringard", ce presque délinquant.
En réalité, on le mesure mieux aujourd’hui, les objections républicaines de ce dernier étaient loin d’être absurdes et les craintes d’une dérive "communautariste" entraînant un délitement de la cohésion nationale étaient plutôt clairvoyantes. Quant aux ambiguïtés idéologiques que l’on pouvait déceler dans certaines convergences entre "souverainistes" de droite et de gauche (disons entre Jean-Pierre Chevènement et Charles Pasqua), elles n’avaient rien à envier aux convergences "libérales-libertaires" qui rapprochaient l’écologie façon Daniel Cohn-Bendit et la sensibilité néolibérale d’Alain Madelin. Entre les deux hommes, une poignée de mains fut médiatisée, à dessein, en 1999 (...)
On comprend mieux pourquoi le triomphe terminal du mot "république" mérite d’être salué, mais avec un brin d’ironie. Menacée dans sa cohésion par la contagion djihadiste parmi ses citoyens (même les non-musulmans) ; victime de tueries planifiées et de menaces venues d’Irak et de Syrie, la France a besoin plus que jamais de ce rassemblement mobilisateur qu’on appelle "république". L’appartenance à l’Europe (lointaine) et son attachement démocratique aux droits de l’homme (évanescents) ne suffisent pas. Il lui faut rameuter le bleu-blanc-rouge, "la Marseillaise" et "Liberté-égalité-fraternité", le tout composant ce qu’on appelle le récit national.
Une chose me paraîtrait à la fois logique et élégante. Les "républicains" convaincus que sont désormais François Hollande et Manuel Valls devraient adresser un signe, un geste reconnaissant, un message subliminal, ou même consulter ce grand aîné qu’ils ont fini par rejoindre sur l’essentiel. Vingt ans après..."
(Chronique de J.-C. Guillebaud, nouvelobs.com, 30 novembre 2015)
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