Comme chacun sait, Givet fait partie des nombreuses communes
françaises à compter une rue Thiers. Quelques municipalités, comme Calais et
Nantes, ont eu le courage de les débaptiser dans les années 1970, mais cela
reste rare. A Niort, la section du PCF l’a fait symboliquement à l’occasion du
140ème anniversaire de la
Commune , et lui a donné le nom d’une de ses héroïnes,
Elisabeth Dmitrieff. Si ces initiatives sont encore ponctuelles, c’est que les
modérés de tout poil sont reconnaissants à Adolphe Thiers d’avoir réunifié le
territoire et fondé la
IIIème République. A ma connaissance, cet opportuniste, qui a
accepté deux Présidences du Conseil du roi Louis-Philippe, avant de s’opposer
rageusement en 1850 au vote de la "vile multitude" puis de composer avec le
Second Empire, n’a jamais été un véritable républicain, juste un libéral
étroit. Il a par ailleurs accepté sans état d’âme le traité de Francfort et la
cession de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne, ce qui lui a permis d’obtenir de
Bismarck la libération de soldats bien utiles pour mater les fédérés patriotes.
Non, ce dont les conservateurs lui savent encore gré aujourd’hui, c’est surtout
d’avoir anéanti une Révolution.
S’agissant de la Semaine Sanglante
de mai 1871, Thiers en fut en effet le principal responsable comme chef du
pouvoir exécutif, même s’il a eu l’hypocrisie de se cacher derrière ses
généraux trop énergiques puis sa féroce Commission des Grâces. N’avait-il pas
conseillé au roi des Français la même stratégie dès 1848, fuir devant la
révolte pour mieux l’exterminer ensuite ? Exilé à Versailles par l’insurrection
du 18 mars, refusant les nombreuses possibilités de compromis, il garantissait
ainsi aux bourgeois, qui vomissaient les généreuses réformes de la Commune , la paix sociale
pour vingt ans. Ce fut la paix des charniers. Il est souvent difficile de compter précisément les victimes
de la répression d’Etat : ici, les estimations varient entre 10.000 et 30.000.
Mais les historiens ont de plus à plus tendance à augmenter la part des
exécutions sommaires commises de sang froid après les combats de rue. Parmi les
victimes, les ouvriers et leur avant-garde, mais aussi des vieillards comme
Delescluze, de nombreuses femmes, de nombreux enfants, choisis au hasard ou
dépistés par les mouchards sur les pentes de Belleville et de Ménilmontant, et
parfois lynchés avant d’être fusillés, comme Eugène Varlin. La férocité inouïe
de la répression est déjà parfaitement décrite par Lissagaray, qui en fut le
témoin.
Je m’en tiendrai donc à l’analyse de Karl Marx dans la Guerre Civile en
France, qui dit l’essentiel sur le mielleux Foutriquet : "Passé maître
dans la petite fripouillerie politique, virtuose du parjure et de la trahison,
rompu à tous les bas stratagèmes, aux expédients sournois et aux viles
perfidies de la lutte des partis au parlement, toujours prêt, une fois chassé
du ministère, à allumer une révolution, pour l’étouffer dans le sang une fois
qu’il y est revenu, avec des préjugés de classe en guise d’idées, de la vanité
en guise de coeur, menant une vie privée aussi abjecte que sa vie publique est
méprisable, il ne peut s’empêcher de rehausser l’abomination de ses actes par
le ridicule de ses fanfaronnades". Ce portrait a l’avantage de pouvoir
s’appliquer à d’autres hommes politiques plus contemporain ! En ces temps où une véritable politique de gauche, sans
compromis historiques, est chaque jour plus nécessaire, le PG/La Pointe espère vivement que la nouvelle municipalité qui sera élue à Givet en 2014 supprimera le nom de cet assassin de masse des
plans de la ville, pour donner à sa rue le nom d’un véritable homme de gauche –
qu’il s’agisse d’Adolphe Balle, le poète prolétarien qui diffusa le Père
Peinard sur la Pointe
en 1892, de l’instituteur communiste Marcel Lallemand, ou pourquoi pas du
communard Georges Cavalier, qui, dans son exil de Bruxelles, avait emmené son
fils, plus tard maire de Givet. Comme chacun sait, dans nos Ardennes, on a
l’embarras du choix !
Boris Spirta.
1 commentaire:
Mouais, cette focalisation sur une personne n'est pas dans la plus pure orthodoxie du matérialisme historique si cher à Marx et à ses disciples ! Mais enfin, étant donné le caractère tout à fait détestable du personnage incriminé, cela révèle tout de même un fond que l'on peut qualifier de gauche de la part de son auteur à la plume par ailleurs brillante...
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