Xavier
Médeau, avocat spécialisé en droit du travail, 41 ans, exerce au barreau de
Charleville. Il a notamment défendu dans la Vallée les salariés de
Cellatex, Fonte Ardennaise (Haybes), Tréfimétaux, Artis, Thomé Génot,
Guilloteaux, Pierquin, Ardennes Forges, Lenoir et Mernier, Affixa, Sopap,
Godard, Oxame, Porcher. Pour ne citer que les dossiers "collectifs" donc
supérieurs à 10 salariés, le plus important en comportant 300. En tout plus de mille dossiers défendus rien que dans la Vallée ! Dans cette analyse succincte, il évoque les principaux problèmes de
l’industrie locale et tente, modestement, d’apporter un début de
solution.
L’appareil de production :
A l’exception notable de la fonderie
P.S.A., les industries traditionnelles des métaux souffrent de vétusté synonyme
de mauvaises conditions de travail. La Fonte Ardennaise ou même le "fleuron" local Invicta, unité de Vivier au Court, en sont de "bons" exemples. Les
salaires, sauf exceptions rares, sont peu attractifs. Métiers pénibles et mal
rémunérés, l’industrie des métaux n’attire plus les jeunes vers les "boutiques". Les difficultés à trouver la main d’oeuvre sur place est un
frein au développement et à la pérennité des entreprises.
Solutions :
C.H.S.C.T. et comités d’entreprises dotés de véritables
pouvoirs. Négociations salariales de branche. Application stricte des
réglementations du code du travail.
Le patronat et ses "spécificités
locales" :
*Les
« patrons voyous » :
Thomé-Génot, Ardennes Forges, Lenoir et
Mernier, Oxame, autant d’exemples d’entreprises victimes de repreneurs sans
scrupules attirés par des conditions très favorables (subventions, exonérations)
accordés par des pouvoirs publics pas très regardants et une main d’oeuvre bon
marché et peu exigeante. La région est très touchée par la crise industrielle et
ne jouit pas d’une bonne image de marque : elle a tout ce qu’il faut pour
attirer les "charognards". Lire à ce sujet l’interview que j'ai accordée à
L’ Humanité du 19 avril dernier, page trois.
* Des patrons pas
toujours à la hauteur :
Les fautes de gestion apparaissent comme une
des principales causes de fermetures d’entreprises. Le manque de vision à long
terme associé à un certain conservatisme qui se traduisent par le manque
d’investissements sont constatés à maintes reprises lors des faillites. Un
manque d’investissements qui a par ailleurs des répercussions sur l’état de
l’entreprise. Un exemple : les repreneurs américains de Thomé-Génot ont racheté "la plus sale" non sans avoir visité des entreprises dans les pays émergents !
Cette saleté étant pour eux le gage d’une main d’oeuvre prête à accepter les
conditions les plus dures.
La main d’oeuvre et ses "spécificités locales"
:
Elle a la réputation justifiée d’être dure à la tâche, elle supporte et
pallie d’une certaine manière le manque d’investissements … jusqu’à ce que cela
ne suffise plus pour assurer la compétitivité de l’entreprise. Mais elle est
peu polyvalente et demeure le plus souvent spécialisée dans une seule tâche
qu’elle exécute d’ailleurs fort bien d’où le mythe du « savoir faire ardennais
». Elle apparaît résignée et peu revendicative, 30 ans de crise ont
durablement façonné les mentalités : "on a un boulot, c’est déjà pas si mal" ! On ne réagit que lorsque la fermeture est devenue inéluctable, lorsqu’il est
déjà trop tard. Les conflits emblématiques, car très durs, chez CELLATEX et
Thomé-Génot étaient motivés par le désespoir d’avoir perdu son emploi non par
l’espoir de le sauvegarder.
Solutions : renforcement
du rôle des comités d’entreprise et syndicats qui doivent avoir le pouvoir de
mettre en place des expertises capables de jauger la santé réelle de
l’entreprise dès les premières difficultés. Mise en place d’une politique de
formation professionnelle avec un « guichet unique » capable de
mettre rapidement en adéquation les besoins des entreprises avec l’Education
Nationale et les organismes de formation professionnels du Ministère du Travail.
La coopération réussie du Lycée Armand Malaise avec Hermès à Bogny sur Meuse a
valeur d’exemple.
Une aide publique distribuée trop
généreusement ?
L’argent public accordé sous forme de subventions à
la reprise d'entreprises en faillite ou d’exonération de charges (les fameuses
zones franches) est localement abondant. En témoignent aussi les C.T.P. qui
doivent aider à la réinsertion professionnelle des licenciés mai qui sont coûteux et d’une efficacité douteuse. La bonne volonté est là, certes. Mais
elle est loin d’être toujours utilisée à bon escient. On a vu ainsi des prêts
aux entreprises à taux zéro, des locaux rachetés par le Conseil Général et
reloués ensuite au repreneur, des subventions qui ont servi à indemniser des
licenciés. Le choix du repreneur, restreint il est vrai par le peu de
candidatures, s’avère parfois catastrophique (cf. ci-dessus « les patrons voyous
»).
Solutions :
les élus doivent pouvoir bénéficier de
conseils de véritables experts indépendants capables d’évaluer la fiabilité d’un
projet de reprise. L’argent
public ne serait-il pas mieux dépensé en subventionnant la création de SCOP par
les anciens salariés ?
Bilan :
Les difficultés que
rencontre de longue date l’industrie locale donnent l’impression qu’un "processus morbide" est engagé, un processus qui se reproduit avec toujours
les mêmes causes, toujours les mêmes effets. Les difficultés de l’industrie ardennaise, que l’on se gardera de
sous-estimer, ont engendré dans les esprits un climat de pessimisme, une peur de
l’avenir et une nostalgie du passé glorieux.
Les conséquences
:
Chantage patronal à l’emploi aidant ( "Si vous m’embêtez je
délocalise en Roumanie, si tu n’est pas heureux il y en a dix qui attendent
dehors"), les ouvriers et partenaires sociaux acceptent à peu près tout et
n’importe quoi (ce n’est pas un grief mais un constat) et les pouvoirs publics,
eux, ne se montrent pas très regardant sur les conditions de travail ni
l’utilisation des subventions. Cette attitude, compréhensible, loin de rendre
service à l’entreprise, la dessert en réalité. Il n’y a plus dès lors aucun
contre-pouvoir à celui du patron. Dans cette situation, si l’entreprise est bien
gérée, tant mieux, il existe toujours des entreprises ardennaises correctement
dirigées, Dieu merci, mais dans le cas contraire, c’est la catastrophe
assurée. Si on peut difficilement agir sur le moral des gens, peut-on retrouver
un certain courage politique à ne pas laisser faire tout et n’importe quoi ?
(interview réalisée il y a quelques mois par notre camarade Didier Fuselier sur un thème au coeur de nos préoccupations)
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